Roi prêtre
photo Raj Kukreja
La civilisation de l’Indus, l’un des premiers foyers de civilisation urbaine au monde, a prospéré entre environ 3300 et 1300 av. J.-C., avec des origines remontant à des cultures néolithiques antérieures, telles que celle de Mehrgarh (vers 7000 av. J.-C.). Ses caractéristiques diffèrent radicalement des cultures qui lui succèdent, notamment par son urbanisme avancé. Les cités comme Harappa, Mohenjo-Daro et Lothal, situées principalement dans l’actuel Pakistan et le nord-ouest de l’Inde, témoignent d’une planification urbaine sophistiquée, avec des rues en grille, des systèmes de drainage et des bâtiments en briques cuites.
L’artisanat de cette civilisation, incluant des sculptures en terre cuite, des sceaux en stéatite et des ornements architecturaux, se distingue par un style minimaliste et fonctionnel. Ce style, observable sur le site archéologique de Lothal dans l’État du Gujarat, est particulièrement illustré par son port, l’un des plus anciens connus. Parmi les chefs-d’œuvre de cette époque, conservés au Musée national de New Delhi, figurent la danseuse en bronze, le buste d’un homme barbu en stéatite (souvent appelé « roi-prêtre »), et une figurine d’un homme assis en position yogique, interprétée par certains comme une représentation précoce de Shiva.
La civilisation védique, qui s’étend de1500 av. J.-C. à 200 apr. J.-C., et succède à la civilisation de l’Indus, n’a pratiquement laissé aucune trace. Il semble que les Aryens ne construisaient pas de monuments. Le style architectural de leurs cités allait cependant influencer celui des âges à venir. Ce style est décrit dans les épopées hindoues et s’apparenterait aux constructions bouddhistes. Les bâtiments védiques comprenaient des formes circulaires et rectangulaires, des toits de chaume, des objets en bambou et l’utilisation du bois. Le site renfermant les stupas (monuments reliquaires) de Sânchî dans le Madhya Pradesh se rapprocherait beaucoup du village de type aryen.
Chapiteau d'Ashoka
photo Naran
L’époque de Magadha, succédant à l’époque védique dans le nord de l’Inde, s’étend d’environ 600 av. J.-C. à 550 apr. J.-C. et a pour cœur la région du sud du Bihar. Ce territoire fut un centre culturel majeur pendant plus d’un millénaire, accueillant plusieurs royaumes et deux empires remarquables : les Maurya (322–185 av. J.-C.) et les Gupta (vers 320–550 apr. J.-C.). Sous ces empires, la science, la religion, les mathématiques, l’astronomie et la philosophie connurent un essor exceptionnel. Magadha fut également le berceau de l’expansion de deux grandes religions indiennes, le bouddhisme et le jaïnisme. Siddhartha Gautama, le Bouddha, naquit vers 563 av. J.-C. dans une principauté au nord de Magadha, à Lumbini (actuel Népal).
L’utilisation de la pierre comme matériau principal marque l’architecture et la sculpture de l’empire Maurya. Ce matériau fut employé pour construire des temples bouddhistes, creuser des grottes, édifier des caityas (sanctuaires bouddhistes ou jaïns), des stupas (monuments reliquaires) et des viharas (monastères). L’influence durable de ce style architectural découle en grande partie de la conversion au bouddhisme de l’empereur Ashoka (règne : 268–232 av. J.-C.), qui marqua l’apogée de l’empire Maurya. Ashoka propagea ses enseignements bouddhistes à travers des édits gravés sur des piliers de pierre, érigea de nombreux stupas (bien que la tradition de « 85 000 stupas » soit probablement exagérée), et développa des sites comme Sanchi, qui abrite l’un des plus beaux stupas conservés. Ces piliers, ornés de chapiteaux sculptés, sont encore visibles aujourd’hui à Lumbini (Népal), Sanchi, et Sarnath. Ils portent souvent des symboles bouddhistes, comme le lion ou le Dharmachakra (roue du dharma), représentant les enseignements du Bouddha. Le chapiteau aux lions de Sarnath, exposé au musée de Sarnath, est devenu l’emblème national de l’Inde moderne.
À partir du Ier siècle apr. J.-C., un changement majeur s’opéra dans l’art bouddhiste. Les écoles de Mathura et du Gandhara (influencée par l’art gréco-bouddhiste) commencèrent à représenter le Bouddha sous forme humaine, abandonnant les représentations symboliques (comme la roue ou l’arbre de la Bodhi) utilisées sous les Maurya. Ce tournant marqua une évolution significative dans l’iconographie religieuse.
buste Gupta
photo mharrsch
L’âge classique de l’Inde culmina avec l’empire Gupta, qui régna sur une grande partie du nord de l’Inde d’environ 320 à 550 apr. J.-C. Cette période, souvent qualifiée d’« âge d’or » de la civilisation indienne, vit un épanouissement exceptionnel des arts, des sciences et de la religion. Les sculptures du Bouddha atteignirent un raffinement inégalé, caractérisé par des visages sereins et méditatifs, un modelé subtil du corps et un drapé fluide, comme en témoigne le torse de Bouddha en grès rose de Mathura, conservé au Musée Guimet. L’hindouisme connut une résurgence majeure, devenant la religion dominante sous les Gupta, tout en coexistant dans un esprit de tolérance avec le bouddhisme et le jaïnisme. De nombreuses statues de divinités hindoues, telles que Vishnu, Shiva, Krishna, Surya et Durga, furent créées, souvent en pierre ou en bronze, reflétant une élégance classique.
Les artistes guptas excellaient également dans le travail du métal, produisant des bronzes délicats, comme la statue de Vishnu de Katra Keshavadeva (Musée national de New Delhi). C’est sous cette dynastie que le garbhagriha (« maison matrice »), espace sacré des temples hindous, devint un élément central. Cette petite pièce, sans fenêtres, abrite la divinité tutélaire et est accessible uniquement aux prêtres. Les murs des temples guptas, comme celui de Deogarh (Dashavatara), étaient ornés de sculptures raffinées représentant des êtres surnaturels, des formes animales, des divinités avec leurs consorts, des scènes de la vie quotidienne (musiciens, danseurs, processions militaires, scènes de cour) et des apsaras (nymphes célestes). La sculpture érotique, bien que moins répandue que sous les dynasties ultérieures (comme à Khajuraho), était également présente, symbolisant la fertilité et l’union divine.
Les grottes d’Ajanta et d’Ellora, situées près d’Aurangabad dans le Maharashtra, sont parmi les plus beaux témoignages de l’art gupta. Ajanta, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, est un complexe de 29 grottes bouddhistes, comprenant des monastères (viharas), des salles de prière (caityas) et des temples. Creusées principalement entre le IIe siècle av. J.-C. et le VIe siècle apr. J.-C., avec un apogée sous les Gupta et leurs alliés Vakataka, ces grottes sont ornées de peintures et de sculptures illustrant les Jataka (vies antérieures du Bouddha) et des scènes bouddhistes. Les fresques d’Ajanta, célèbres pour leur naturalisme et leurs couleurs vibrantes, servaient de support à l’enseignement et à la méditation des moines.
Le site d’Ellora, également classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, se trouve à 30 km d’Aurangabad et illustre la tolérance religieuse de l’époque, avec des grottes dédiées au bouddhisme, à l’hindouisme et au jaïnisme. Les grottes bouddhistes, excavées entre le Ve et le VIe siècle, abritent des sculptures de Bouddha et de bodhisattvas (êtres éveillés dédiés au salut des autres). Les grottes hindoues, datant principalement du VIe au VIIIe siècle, incluent le majestueux temple de Kailasa (grotte 16), taillé dans un monolithe colossal, le plus grand au monde.
Ce temple, dédié à Shiva et inspiré du mont Kailasa (Tibet), fut sculpté de haut en bas sur plusieurs générations, nécessitant l’enlèvement de 200 000 tonnes de roche. Malgré sa taille imposante, il présente des sculptures d’une finesse remarquable, influencées par le style gupta tardif sous les Rashtrakuta. Les grottes jaïnes, plus modestes, datées du VIIIe au IXe siècle, se distinguent par des sculptures délicates, notamment un plafond orné de fleurs de lotus et une yakshini (divinité féminine) assise sur un lion sous un manguier.
Temple du rivage à Mamallapuram
photo IomaDI
Les Dravidiens désignent les peuples et les langues du sud de l’Inde, appartenant à la famille linguistique dravidienne (tamoul, telugu, kannada, malayalam, etc.). Leur origine dans la région reste débattue parmi les archéologues, certains suggérant une présence autochtone ancienne, d’autres une migration depuis le nord-ouest avant l’époque de l’Indus. Les Dravidiens étaient de grands navigateurs, entretenant des relations commerciales avec la Mésopotamie dès le IIIe millénaire av. J.-C. et, plus tard, avec l’Empire romain, comme en témoignent les artefacts trouvés à Arikamedu (près de Pondichéry).
À partir du IIe siècle apr. J.-C., les temples du sud de l’Inde développèrent un style architectural distinct, connu sous le nom de style dravidien, caractérisé par des vimanas (tours pyramidales) et des gopurams (portes monumentales). Les dynasties Chalukya et Pallava jouèrent un rôle clé dans l’émergence de ce style. Les Chalukya, établis dans l’actuel Karnataka (avec pour centre Badami), régnèrent sur une partie de l’Inde du Sud et centrale du VIe au VIIIe siècle, avec une seconde phase sous les Chalukya occidentaux jusqu’au XIIe siècle. Ils construisirent deux types de monuments : des grottes taillées dans la roche (comme à Badami) et des temples en pierre (comme à Aihole et Pattadakal). Les sculptures chalukyas se distinguent par des fresques et des reliefs représentant des ganas (serviteurs de Shiva), des divinités et des scènes mythologiques, souvent marquées par une créativité et un symbolisme riches. Les temples de Badami, Aihole et Pattadakal (inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO) illustrent l’apogée de l’art chalukya, avec des structures comme le temple Virupaksha à Pattadakal, précurseur des temples dravidiens ultérieurs.
La dynastie Pallava, qui connut son apogée aux VIe et VIIe siècles avec Kanchipuram comme capitale, révolutionna l’architecture en passant de l’excavation de grottes à la construction de temples en pierre taillée. Les temples de Kanchipuram (temple Kailasanatha) et de Mamallapuram (également connu sous le nom de Mahabalipuram) illustrent le style pallava, caractérisé par des sculptures massives, une anatomie faciale simplifiée (visages allongés, lèvres épaisses, grands yeux, doubles mentons, nez larges), et des ornements moins détaillés que sous les Gupta. Les figures sculptées incluent des divinités (notamment Shiva), des soldats, des éléphants, et des scènes mythologiques.
Le temple Kailasanatha à Kanchipuram, avec ses panneaux narratifs, est un exemple emblématique de l’art pallava. À Mamallapuram, le temple du Rivage (Shore Temple), construit vers 700–728 apr. J.-C. sous Narasimhavarman II (Rajasimha), est un temple structurel en granite, dédié à Shiva et Vishnu, situé directement sur la côte de la baie du Bengale. Distinct de ce temple, le relief de la Descente du Gange (ou Arjuna’s Penance), l’un des plus grands bas-reliefs en plein air au monde (29 m x 13 m), est sculpté sur deux blocs de granite à environ 500 mètres au nord du temple du Rivage. Ce relief illustre la légende hindoue de la descente de la rivière Gange sur Terre, guidée par Bhagiratha, ou l’ascèse d’Arjuna, avec des figures de dieux, d’animaux, et d’ascètes. Le style pallava influença l’architecture du Sud-Est asiatique, comme en témoigne le temple d’Angkor Vat au Cambodge (XIIe siècle), qui intègre des éléments dravidiens, tels que la tour pyramidale et les reliefs narratifs.